Coiffeur

L’ambiance de fin de journée se fait sentir, autour de moi, tout est placide. Impatiente, je me tourne vers l’horloge pour la 7e fois depuis les vingt dernières minutes, guettant l’imminent et libérateur 17h ; ne reste que quelques instants. Je ne sais trop si c’est l’abondance de béton qui me pèse autant ou la lassitude de ma tâche, mais j’ai hâte de poser les pieds hors de cet édifice. Je range dans les tiroirs tout ce qui ne trouve pas sa place dans mon espace et je me prépare à quitter.  

Marchant vers la sortie, j’enfonce d’emblée de la musique dans mes oreilles, incapable de m’en passer, comme si chaque situation avait sa propre vague qui ne saurait vivre sans mélodie. Awolnation crée automatiquement une ambiance enivrante d’indie rock électronique aux limites psychotiques dans ma tête. Je lève les yeux et je le vois. Patient devant les portes de l’ascenseur, comme s’il m’y attendait. Depuis ce jour où je me suis perdue dans mes pensées à l’observer, je le vois partout. Il est constamment, et sans mon consentement, devant mes yeux. Il s’y trouve toujours, captivant mon attention de sa fragile désinvolture, de son aise qui me fait envie et de son visage qui ne veut pas quitter mon esprit.  

J’en deviens fascinée, comme convaincue qu’il modifie son trajet pour s’assurer que je ne l’oublie jamais. Je l’étudie cherchant à comprendre si mon imaginaire m’envahit ou si c’est la réalité qui l’emplit. Mais il me donne sans cesse l’impression de détourner ses habitudes vers les miens pour s’assurer que sa présence croise mon existence. Comme un aimant, aussi attirant que repoussant, la simple vue de son corps élancé et fastueusement habillé suffit à empiéter sur ma lucidité. De toute évidence, il sait jouer de son être. Attirant les regards, à son grand contentement, chaque fois qu’il se déplace dans les bureaux.     

(Charles) Allo toi! 

Familière et libérée, sa salutation touche son but, me sortant de mon univers musical et forçant mes yeux sur lui, encore. Je lui réponds bêtement

(Alexine) Bonjour vous !

Comme pour creuser l’espace-temps qu’il existe entre nous. 

On monte ensemble dans l’ascenseur vide que son parfum embaume instantanément. Savamment choisie, la fragrance ambrée lui sied à merveille, amplifiant son essence pour captiver mes sens. Un pion de plus sur son échiquier de séduction. Il me semble maitriser chaque parcelle de ce qui peut animer une femme.   

Les odeurs m’ont toujours captivés, créant individuellement des traces sur mes souvenirs. Chaque parfum singulier que les hommes et les femmes de mon lit ont porté sont marqués en mon esprit, au-delà du souvenir visuel de leurs chairs. Il n’existe en ce monde rien qui ne puisse me toucher de la façon dont les odeurs le font. Enveloppantes, rafraichissantes, invitantes, elles sont à mon odorat ce que la musique est à mes oreilles, créatrices de souvenirs et d’envies.  

Son regard supporte habilement le miens tandis que nous échangeons quelques futilités sur notre journée. Je ne peux m’empêcher d’apprécier le sourire qui pointe aux coins de ses lèvres à son insu. Les portes s’ouvrent et nous partons dans des directions opposées. Dehors, l’air est frais et agréable. Je n’ai que peu à marcher, mais j’y prends plaisir, respirant profondément, comme si, entourée de tout ce béton, l’oxygène m’avait manqué au cours de la journée.  

À cette heure, la rue St-Jean est envahie de voitures et les trottoirs se font piétinés par une foule pressée de retrouver la maison. J’avance d’un pas rapide jusqu’au salon.  Ma coloriste n’y est pas. Elle a dû s’absenter et m’a confié aux mains de son collègue. Le salon est pratiquement vide. Il n’y a qu’une dame de toute évidence en temps de pause de sa coloration. Il me sourit largement et se présente à moi. Aussitôt il ouvre la bouche que son accent le trahit, lui conférant des origines britanniques.   

Je m’installe et il détache mes cheveux qui tombent en cascade sur le dossier de la chaise en cuir. Il en défait les nœuds tout en abordant la conversation, aussi habilement qu’un inconnu puisse le faire. Je ne peux m’empêcher d’observer son reflet dans le miroir. Assez charmant, débordant de style, ses cheveux bruns satinés bougent comme s’il était sous l’eau. Son front large lui confère un air sérieux que ses petits yeux bleus tombants savent adoucir. Il peint mes cheveux, mèche par mèche, avec soin. Ses lèvres rosées et fines s’agitent. On parle de l’hiver et du froid qui tirent à leur fin, de son déménagement au Canada et des différences de nos deux cultures. Il est drôle, agréable et tout ce qu’il y a de plus masculin avec sa barbe éméchée et ses airs de faux négligés. Il porte un t-shirt blanc, ample, ouvert au cou et qui bouge sur son corps à chacun de ses mouvements. Je me surprends vite à imaginer son torse caresser par le tissu et je trace mentalement les détails de sa peau. Il démarre la minuterie et m’offre un verre avant de se retourner et d’aller s’occuper d’une autre cliente. 

Je le vois toujours devant moi, dans le reflet de la glace, mais de dos cette fois. Je ne peux m’empêcher de l’érotiser, comme je le fais avec la plupart des gens, comme je le fais tout le temps. J’ai ardemment cherché à traduire mes pulsions, à les comprendre pour mieux contenir ce qui m’habite, mais je n’y suis jamais parvenue. Inconsciemment, mes pensées continuent de glisser chaque fois, hyper-sexualisant toute situation et tout humain qui croise mon chemin. Captivée, je cherche à comprendre leurs envies, à savoir ce qui les attire, à déceler leurs vices. Avec le temps, j’ai appris à accepter les miens sans remords. Je laisse aller mes pensées et je les mets par écrit, devenant, au moins ainsi, collectivement inspirantes. 

Il salue l’autre cliente qui quitte le salon avec une tête sublime, puis il revient à moi. Je m’installe au lavabo. Les jets d’eau dégagent le surplus de teinture de mes cheveux. Ses mains sont fermes, masculines et rassurantes. L’odeur de la coloration s’estompe et laisse place à la caresse de son parfum. Je reconnais aussitôt ses effluves épicés et ambrés qui me saisissent magnétiquement. Il porte la même odeur que Charles. Putain, cet homme me hante. Il est partout, même sans y être. Il habite le temps. Contrariée, je me raidis sur mon siège et il s’arrête un instant. 

(Coiffeur) Est-ce que la chaleur convient? Ce n’est pas trop chaud. 

(A) Ça va, merci.

(C) Tout va bien? Vous êtes tendue d’un coup. 

(A) Oui, j’ai la tête ailleurs. J’ai simplement besoin de me détendre… 

(C) Je suis là pour ça.  

Mes cheveux propres, il s’applique à me masser. Ses mains brusques caressent mon crâne délicieusement. Je ferme les yeux et j’inspire de grandes bouffées. L’énigmatique parfum revient à moi en vague et je m’y laisse aller doucement, cessant de le combattre.  

Ses doigts masculins dégagent toute tension de ma tête. Ses gestes sont brusques sans être brouillons. J’oscille entre mes rêveries et la réalité. Bientôt, je perçois ses mains descendant vers ma nuque, j’en frisonne. J’ose espérer qu’il ne voit pas mon esprit divaguer. Il touche mes épaules, il les masse avec force et cela me relaxe aisément. Détendue, mon éternelle envie de plaisir embrouille mes pensées et je le laisse s’aventurer sous mon gilet, caressant mes omoplates du bout des doigts, doucement et légèrement, tout l’inverse de son toucher sur mes épaules. Ses paumes flattent mes clavicules. Sa peau est chaude et son contact me donne envie d’être touchée davantage. Il dégage les bretelles de mon soutien-gorge pour libérer ma peau. Il s’y attarde un long moment et la détente fait place à l’excitation.  

Je sens ses mains revenir sur le tissu et son corps se mouvoir vers mes jambes. Le salon est calme et plongé dans un silence quasi parfait, seul le bruit du lavabo, dont il a adouci le jet d’eau, parvient à mes oreilles. Je ne vais tout de même pas me laisser prendre ici?!  Il défait le bouton et ouvre mon pantalon. Trop surprise pour réagir, je le laisse le glisser jusqu’à mes chevilles. Je sens ses mains remonter sur mes jambes et caresser l’intérieur de mes cuisses. J’ai chaud. Mon corps fourmille déjà. Je ressens son souffle et j’imagine son visage tout près de ma peau. Un frisson d’excitation descend du haut de ma nuque jusqu’à ma fente. La mouille pénètre peu à peu ma culotte. Si j’aime cette sensation! Elle me rend fière. J’imagine mon odeur envahir ses sens et faire affluer son sang. Ses caresses sur ma peau se font plus persévérantes et il ose introduire un doigt sous le tissu, découvrant ma chatte pour sa vue. Son index frôle doucement mon intimité s’imbibant de mes fluides. J’aimerais lécher son doigt, me goûter, reprendre pour moi mon excitation.

Il enfonce son doigt enfin et s’attarde en moi, se retirant et plongeant à répétition dans mon corps. Je le sens insérer un deuxième doigt et les écarter de son mieux pour m’ouvrir davantage à sa vue. L’excitation m’envahit littéralement et je peine à ne pas bouger. Immobile, je lui confère tout pouvoir sur mon corps. Il en ajoute un troisième et retourne ses doigts pour fouiller en rechercher de ma zone de jouissance. Je dirige mon bassin pour l’aider et il y parvient. Je suis excitée, complètement soumise à ses doigts habiles. Il frotte et appuie sur mon point g comme s’il me connaissait, comme si nos deux corps avaient déjà été amants. Je sens ma mouille recouvrir ses larges doigts. J’en suis bêtement fière. 

Mes fesses dénudés collent sur le cuir du fauteuil, j’ai envie de les soulever, de bouger pour le sentir plus fort encore. L’orgasme me semble de plus en plus près et j’attends cette vague avec frénésie. Je m’active sous ses doigts et il quantifie mon excitation. Mes yeux toujours clos, je le sens approcher son visage et couvrir mon clitoris de ses lèvres. Il l’embrasse avec envie et sa langue ne manque pas de lécher tout ce qu’elle peut autour. J’espère qu’il aime mon goût, que cela l’enflamme davantage. Je me laisse porter par cette sensation que ses doigts dansent en moi et sa gourmande succion sur mon clitoris. L’orgasme est tout près.  

Je n’ai qu’une envie, celle d’empoigner sa tête pour la maintenir sur mon plaisir et d’ouvrir les yeux pour laisser cette vue d’un autre inconnu entre mes cuisses me mener au frisson de la finalité. J’ouvre les yeux vers le plafond. 

(C) Vous m’avez l’air plus détendue Alexine. Le massage vous a fait du bien ? 

(A) Oui, plus encore.
Je me suis permise de rêvasser un peu…  

 

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