Pulsion

En réalité, je me suis poussée à bout depuis des mois. Volontairement. En pleine connaissance de la finalité. En fait, je l’ai visée. Trop futée pour ne pas savoir comment l’éviter, je me suis lancé la tête dedans volontairement. Habitée par l’envie d’avoir mal, je me suis alignée sur mon désir de souffrir. J’avais hâte que mon corps cède, de le sentir se défaire en morceaux minuscules et quasi impossibles à reconstruire. J’avais hâte de vibrer sur le frison de la mort qui s’installe dans mon corps et l’instinct de survie qui réagit. Je n’en pouvais plus de l’amour gratuit des moutons blancs. Trop pur, trop bon, trop doux… Je n’ai jamais mérité tout cela. J’ai eu beau m’asseoir sur leurs queues relevées, jouer dans l’immoralité et m’amuser de leur infidélité, ce n’était pas assez. J’étais aimée, admirée et glorifiée, mais je ne veux pas être ce qu’ils veulent que je sois. Je ne veux ni me conformer ni inspirer et j’ai beau m’efforcer de prouver que je suis prête à tuer pour assouvir ma faim égoïste, rien n’y fait.

Alors j’ai fait ce qu’il fallait, consciente qu’en me poussant autant j’allais me maganer la tête, qu’elle allait finir par lâcher vulgairement et que je cognerais le burn-out convoité. J’en avais besoin pour assouvir ma pulsion de vengeance, pour rassasier mon éternel besoin de douleur et mon perpétuel plaisir à me défaire la face sur l’asphalte. J’aimerais être capable de m’en contenter de ce qui constitue le bonheur de la masse, être capable de me plaire dans le calme et l’ordinaire, mais il n’y a rien à y faire. Moi, j’ai besoin de voir couler mon propre sang pour me rappeler que je suis en vie. 

L’affaire c’est que contrairement à ce que j’avais imaginé et même si j’ai la face à terre, le rush d’adrénaline et l’instinct de survie n’embarquent pas cette fois. Je suis là, défaite, mais dans l’attente. Je saigne, abondamment, mais je reste passive et je me mets sincèrement à paniquer par en dedans.

Et si j’étais moins puissante que ce que je pense? Et si la faiblesse allait réellement m’atteindre? Et si j’avais échappé le contrôle? Et si j’allais vraiment perdre cette fois? Et si je n’étais que comme les autres au final… En dedans c’est le torrent, je panique littéralement. Incapable de répliquer, je me casse en larmes, en culpabilité et en tout ce qui a de plus faible comme explosion d’émotions. Je me fonds dans la médiocrité, dans la mélancolie et dans la résignation. Alors je commence à emplir mes oreilles de douceur, de bonté et de bienveillance galvaudée. Je laisse une place à la spiritualité, essayant de m’aligner sur un invisible présumé supérieur et puissant qui dans les faits n’a jamais eu la force de me protéger. Je médite et respire sur tous les putains de clichés de la machine à développement personnel. Ça dure depuis dix jours maintenant et j’attends. J’attends encore le moment où mes démons seront suffisamment affamés pour commencer à me dévorer. Mais rien, il ne se passe rien. J’ai les genoux en sang force de ramper sur le gravier, la tête basse et le cerveau complètement explosé. Le temps avance et la nuit s’installe, mais le sommeil ne vient jamais. L’anxiété me gruge mon air, éveillée comme dans mes rêves. Jusqu’à ce matin où je me suis réveillée en comprenant que j’essaie de me propulser sur une énergie qui n’est pas mienne. Et j’ai repris le pouvoir en me disant que si l’adrénaline ne vient pas d’elle-même alors, je dois la provoquer.

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Je monte le son au maximum, jusqu’à sentir que la musique hurle sur moi, comme je le mérite. Et puis je cours, sans m’échauffer ni faire attention à mon corps. J’avance comme une défoncée dans le simple but de m’épuiser. Et j’y arrive : mon pouls cogne dans ma tête, l’air me manque et j’ai le cœur à l’envers. L’adrénaline a fait sa place en dedans, mais pas assez pour que la rage de survie s’installe.  En sueur, à bout de forces et complètement détrempée, je reprends le pas, courant cette fois jusqu’à la porte de chez lui.

Il a ouvert et son regard m’a questionné avant même que sa bouche ne puisse le faire.

(Lui) Hey!?

(Alexine) Contrôle-moi.

(L) Quoi?

(A) Prends mon souffle. Domine-moi. Possède-moi. J’ai besoin que ça kick in. Il faut que ça me pogne en dedans. Donne-moi l’impression que je vais me fendre sous la force de tes doigts. Détruis-moi. Je ne suis pas capable de me défaire seule cette fois. J’ai besoin de toi.

Et je lui ai tout vomi ça dessus, sans aucune mise en contexte. Lui, il m’a regardé sans dire un seul mot, mais sans me juger.

(A) Aide-moi sinon je vais me noyer pour vrai cette fois. Criss-moi en feu!

(L) Voyons Alexine!

Normalement lorsqu’il utilise mon nom complet c’est pour me recadrer, c’est signe qu’il va me replacer parce que j’ai été inadéquate. Habituellement, c’est que j’ai poussé assez loin et qu’il va enfin me donner ce dont j’ai besoin.

(L) Écoutes, tu ne peux pas débarquer ici dans cet état-là chaque fois que quelque chose ne va pas. Je ne devrais pas être ton premier réflexe. Il y a mieux que moi pour ça.

J’ai le frisson qui commence à me prendre le corps, enfin. Mais juste au moment où je pense qu’il va me donner ce que je réclame, il pose ses deux mains tatouées sur mon visage et me relève la tête pour que mes yeux nerveux trouvent les siens apaisants. Je ne veux pas être calmée ou rassurée. Je veux être contrôlée, claquée, possédée. Je veux qu’il me défonce. Je veux que ma tête s’éclate contre le mur derrière moi pendant que sa verge m’enfile agressivement. Je veux qu’il me crisse en feu pour m’aider à level up.

(A)  Ça va. Je vais bien. J’ai un plan. Tout est ok.
Mais j’ai besoin que tu m’aides.

J’ai pris un recul et repoussé ses mains de ma peau. En dedans, j’ai le cœur qui palpite et l’adrénaline qui m’excite. J’attrape son jeans fermement et je tire son bassin à moi.

(A) Ramasse-moi! 

Je ne sais pas si c’est la rage qu’il a perçue dans mes yeux fragiles qui a fait résonner ses propres démons de domination ou s’il a simplement voulu me faire taire, mais à ce moment, il a comprit ce dont j’avais besoin et ce que je réclamais.

Sa main s’est emparée de ma mâchoire et ma tête a claqué contre le mur. Ma respiration s’est mise sur pause. Enfin, un début de douleur libératrice. Sa bouche a trouvé la mienne et, en un instant, tout s’est enflammé avec autant de puissance que la dernière fois. J’ai retiré mon t-shirt plein de sueur et j’ai voulu passer mon top de sport au-delà de ma tête. Il l’a gardé coincé contre mes poignets, m’empêchant de les bouger. Mes mains coincées en l’air, sa barbe a retrouvé ma peau et ses dents mon cou. Il m’a mordu, suffisamment fort pour tracer ma chair et que mes démons en frissonnent. Immobile, je voudrais me fondre sur lui, impatiente de me liquéfier sous son contrôle. C’est inexplicable combien ce gars-là m’excite. L’une de ses mains relâche les miennes, ses ongles traçant leur chemin jusqu’à mes seins. Mon sang perce ma peau sous ses marques, m’excitant encore plus fort, parce que sous ses doigts, je n’oublie jamais que je suis en vie.

Son bassin ondule vers le mien, frottant sa queue gonflée sur mon corps trempé. Je veux être pénétrée, je veux qu’il m’enfonce, tellement. Mais je suis encore à demi habillée. Mes yeux se portent sur sa peau barbouillée et j’y perds mon souffle. Il pose sa main sur mon menton et m’attire à lui pour m’embrasser, étonnamment doucement. Puis, il me retourne brusquement et mon visage s’écrase contre le mur. Il n’y a rien qui m’appartient, tout est à lui en ce moment. Il griffe mon dos, jusqu’à mon cul qu’il dénude. Je suis nue, complètement. Il appuie son avant-bras contre mon dos et retient mon poignet contre le mur. Mon bracelet s’empreigne profondément dans ma peau. Je suis excitée et je veux le sentir me prendre. Son autre main claque mon cul juste avant que sa queue n’ouvre ma chatte. Il me pénètre à répétitions en remontant mon bassin violemment, sans prononcer un seul mot ou un seul son. Il est en plein contrôle de ce qu’il est et moi complètement offerte. Ma respiration se perd dans mes gémissements bruyants et mon visage se fracasse sans cesse contre le mur.

Il me retourne vers lui. Mes mains retrouvent son torse tatoué. Aussitôt, il les retire et me force à les placer contre le mur, coincées derrière mes fesses rougies par ses claques. Il n’y a pas eu un seul moment encore où j’ai pu dominer sa peau, pas une fois où il a été à moi, mais chaque parcelle de ma chair accepte de se soumettre à son corps. Ses yeux brûlent le feu. J’ai mal à le regarder. Il s’enfonce à nouveau en moi. Sa main droite se pose sur ma gorge qu’il serre un peu plus sur chaque pénétration qu’il donne à ma chatte. Elle pétille et se resserre sur lui, mon orgasme est tellement près. Je voudrais hurler, lui éclater ma jouissance, mais l’air passe difficilement. Et il continue de me dominer de sa main, jusqu’à le bloquer entièrement. Je ne peux plus respirer, je ne suis plus rien, je ne contrôle plus rien, mon existence tout entière lui appartient pour une fraction de temps. Sa queue m’accote une dernière fois avant de gicler en dedans. Sa main relâche ma gorge étouffée et l’air reprend sa place bruyamment.

(A) Merci.

(L) Un jour je vais finir pas comprendre ce que tu me fais.

(A) Ça m’étonnerait.
Je ne suis pas les autres et je ne le serai jamais.

La peau écorchée et les jambes faibles, je reprends le chemin jusqu’à chez moi savourant la domination sur mes faiblesses. Parce qu’il n’y a rien de plus vivant que d’accepter de faire équipe avec ses démons au lieu de les fuir, je voudrais me souvenir de ce moment pour tout le temps. Mes yeux se posent sur mon poignet encore tracé par mon bracelet et je me dis que ce bijou-là vient certainement de devenir un point d’ancrage puissant.

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