M’ennuyer de toi.
M’ennuyer de moi.
M’ennuyer de nous.
M’ennuyer de tout.
L’obsession du manque.
On croit souvent que le désir est une affaire d’urgence,
une tension immédiate qui cherche à se libérer.
Mais parfois, il est ce qui reste après.
Il est ce qui refuse de mourir.
Le désir et l’absence sont des jumeaux inséparables.
L’un convoque l’autre.
Et l’un se nourrit de l’autre.
•••
Il y a des corps que l’on n’a plus, mais qui persistent en nous.
Des présences évaporées qui laissent derrière elles une empreinte dans la chair, un sillage dans la psyché.
Le désir devient alors autre chose.
Il n’est plus seulement une pulsation entre les cuisses.
Il devient obsessionnelle réminiscence.
Une série d’images projetées dans l’obscurité du crâne, des négatifs d’un film jamais développé.
Les sensations perdues se rejouent dans la mémoire.
L’ombre de chaque toucher s’imprime sur la peau.
Chaque soupir absent est une caresse incomplète.
L’absence devient un érotisme inversé.
Un érotisme sans contact, sans corps, sans chair…
Mais bien plus puissant que la présence elle-même.
Parce qu’il est inachevé.
Et que ce qui n’a pas été pleinement vécu…
Ne disparaît jamais vraiment.
•••
Le plaisir et le pouvoir sont des jeux d’échange.
Mais dans la tension du désir, une question demeure :
Qui possède qui ?
Est-ce celui qui s’abandonne sous le poids de l’autre ou celui qui désire être écrasé ?
Est-ce celui qui prend ou celui qui ose se livrer ?
Il y a dans l’acte du désir une ironie qui ne cesse de se répéter.
On croit maîtriser le jeu.
Mais le vrai pouvoir est toujours ailleurs.
Dans la tension.
Dans la demande.
Dans l’humilité du corps qui avoue sa faim.
Car au final, le plaisir ne réside pas dans l’acte lui-même.
Mais dans l’aveu du manque.
Dans cette fracture que l’on cherche à combler, encore et encore.
Un érotisme de compensation.
Une quête d’équilibre impossible.
•••
On dit souvent que l’orgasme est une petite mort.
Mais c’est faux.
L’orgasme, quand il est véritablement vécu, est une offrande.
Une manière de se vider pour mieux se remplir.
Un exorcisme.
On expulse ce qui ronge.
On libère ce qui pèse.
On brûle ce qui hante.
Certains baisent pour oublier.
D’autres pour se rappeler.
Dans les deux cas, le corps devient un autel.
Un lieu où l’on enterre ce que l’on ne peut pas dire autrement.
Et où l’on prie pour que le désir nous traverse encore.
•••
Il y a des gens que l’on ne quitte jamais.
Ils continuent de vivre dans ce que l’on écrit.
Chaque phrase est une tentative de résurrection.
Chaque mot est une incantation pour rappeler l’ombre.
On écrit pour les figer quelque part.
Pour ne pas les perdre tout à fait.
Mais il y a une autre vérité, plus cruelle encore…
On écrit aussi pour les enterrer.
Pour leur donner une place hors de nous.
Pour ne plus avoir à les porter dans notre chair.
C’est pour cela que l’écriture et le sexe sont des rituels jumeaux.
Parce qu’ils convoquent autant qu’ils conjurent.
Parce qu’ils possèdent autant qu’ils libèrent.
Parce qu’ils brûlent ce qu’ils vénèrent.
Et qu’ils transforment l’amour en mythe, et le mythe en souvenir.
•••
Le manque est un cycle.
Il hante, il consume, il détruit.
Puis il s’apaise.
On croit l’avoir dépassé.
Mais un jour, un son, une odeur, une chanson, un rien…
Et tout revient.
Parce qu’au fond, il n’y a rien de plus érotique que ce qui est inatteignable.
Rien de plus addictif que ce qui nous a échappé.
Et rien de plus puissant que ce qui nous brûle encore.
M’ennuyer de toi.
M’ennuyer de moi.
M’ennuyer de nous.
M’ennuyer…
Juste assez pour ne jamais oublier.
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